Dans un entretien à Jeune Afrique, et repris ce jour par l’AFP, le ministre de la justice du Sénégal ment au sujet du code pénal de son propre pays.
Il est particulièrement révélateur de voir un garde des sceaux se prononcer au sujet d’une affaire individuelle dans un média étranger, et plus encore encore, de le voir mentir à son sujet de façon éhontée. Il est aussi significatif de voir quel média est utilisé à cette fin, en l’occurence, un organe de « presse » qui n’a longtemps survécu que grâce à la vente de publireportages en l’honneur des potentats de la françafrique.
Comme vous le savez, M. SONKO est le principal opposant au pouvoir sénégalais, dont le président est un proche allié d’Emmanuel Macron.
M. SONKO, immensément populaire, est une icône de la lutte contre la corruption et la françafrique, et menace des intérêts puissants. Cela l’a amené à faire l’objet de procédures iniques, dont des accusations de viol pour lesquelles il a été acquitté, et à se voir condamner en son absence à une peine de deux ans de prison pour un délit dont il n’était pas accusé. Cette condamnation, censée le rendre inéligible si elle devenait définitive, a été rendue le 1er juin dernier.
Cela fait longtemps que le pouvoir cherche à le rendre inéligible, M. SONKO. C’est ainsi qu’une première affaire en diffamation avait été audiencée manu militari à cette fin, sans succès à ce stade. C’est ainsi que cette nouvelle affaire tente d’être utilisée comme prétexte pour le radier des listes électorales et ainsi l’empêcher de se présenter aux élections de février 2024.
Entre temps, M. SONKO a d’ailleurs été arrêté et placé en détention pour d’autres motifs. L’affaire est guignolesque: le Procureur a initialement justifié son arrestation en invoquant un vol de téléphone portable (sic), avant, une fois l’homme placé en garde à vue, de le faire accuser de crimes d’atteinte à la sûreté de l’état, appel à l’insurrection, terrorisme, etc. Cela doit être étrange, pour un favori à des élections présidentielles, de passer en quelques heures de voleur à la sauvette à terroriste. M. SONKO, envoyé en détention provisoire, a immédiatement entamé une grève de la faim et est actuellement en réanimation.
Les autorités sénégalaises, qui ont placé en détention entre 1600 et 1800 prisonniers politiques, dont des avocats, journalistes, élus et militants, et qui les entassent dans des conditions inhumaines, font depuis face à une intense pression internationale, et tentent en conséquence de sauver la face.
Le Sénégal a longtemps été considéré comme la perle du droit, un exemple en Afrique. Il est donc très important de maintenir les apparences.
C’est le sens de cet entretien du ministre de la justice, envoyé au front pour convaincre l’opinion internationale que tout est normal.
Déconstruisons-le patiemment.
La loi sénégalaise prévoit que lorsque vous avez été jugé en votre absence, votre arrestation ou constitution en tant que prisonnier anéanti immédiatement la condamnation par contumace dont vous aviez fait l’objet, afin qu’un nouveau procès soit organisé dans le respect de vos droits.
C’est un véritable caillou dans la chaussure du pouvoir, car, s’il leur fallait relancer de nouvelles procédures, celles-ci ne pourraient aboutir à une condamnation définitive avant les élections de février 2024, et donc empêcher M. SONKO d’être candidat.
C’est par ailleurs un caillou dans la chaussure que le pouvoir n’avait probablement pas prévu, l’arrestation de M. SONKO étant intervenue dans des conditions baroques et précipitées. C’est ce qui explique qu’après le vol de téléphone portable, ils aient en un premier temps tenté d’inventer des accusations multiples de crimes politiques, infondées et qu’ils sont incapables de justifier. Mais en droit sénégalais, et on pourrait rire qu’ils prétendent le respecter, cela ne suffit pas.
Le droit est clair. La condamnation de M. SONKO à la peine de deux ans qui le rend inéligible est devenue inexistante au moment où celui-ci a été arrêté. Il est donc éligible tant qu’aucune décision de condamnation définitive ne sera à nouveau prononcée à son encontre.
En cet entretien, le ministre de la justice, face aux questions faussement naïves de Jeune Afrique, commence donc, il ne peut pas faire autrement, par confirmer: “M. SONKO avait la possibilité de faire « anéantir » cette condamnation puisqu’il n’a été ni présent ni représenté lors de son procès. »
Mais il ajoute immédiatement: « À condition toutefois de se constituer prisonnier ou d’être placé en détention à l’initiative du procureur en vertu de la condamnation en question. Or c’est dans le cadre d’une autre affaire qu’Ousmane Sonko a été placé sous mandat de dépôt le 31 juillet, laquelle vise des infractions extrêmement graves en lien avec la sûreté de l’État. (…)”
Là, comme on le verra, le ministre invente une condition qui n’est nulle part prévue pour tenter de contourner l’obstacle qui menace, de caillou, de devenir montagne.
Le ministre de la justice est toujours aussi benoîtement relancé par Jeune Afrique: “Ousmane Sonko étant déjà emprisonné, peut-il aujourd’hui se constituer prisonnier dans l’affaire Adji Sarr ? - Pour se constituer prisonnier, il faut être libre. Ce n’est pas une question de droit, mais de logique.”
On le voit, les régimes autoritaires cherchent toujours à instrumentaliser le droit pour se justifier. Quitte à le déformer.
Le code pénal sénégalais indique en son article 307: “S’ils [les condamnés par contumace] se constituent ou s’ils viennent à être arrêtés avant les délais de prescription, l’arrêt de condamnation est anéanti de plein droit”. Point.
La loi pénale étant d’interprétation stricte, et aucun autre critère ou condition n’étant énoncée par le code pénal ou le code de procédure pénale, la conclusion est sans équivoque: la condamnation de M. SONKO a été de facto anéantie dès son arrestation, quel qu’ait été le motif de son arrestation. Point. C’est d’ailleurs une chose évidente, la contumace n’ayant pour objectif que de se saisir de personnes que l’on n’arrive pas à mettre sous main de justice.
M. SONKO, sentant le piège venir, avait de toutes façons pris ses précautions, en se constituant prisonnier dès sa garde à vue et, sur nos bons conseils, exigeant que soit acté l’anéantissement de sa condamnation. Ce qu’ils n’avaient visiblement pas prévu.
En somme, le ministre de la justice ment, en pariant sur le fait que personne n’y comprenant rien, cela passera. C’est souvent à cette fin qu’est utilisé le droit.
Je reviendrai tout de même sur une autre de ses phrases. Peu après, le ministre affirme: « Pourquoi ne s’est-il pas constitué prisonnier s’il entendait obtenir que sa condamnation par contumace soit anéantie ? Celle-ci est entre-temps devenue définitive."
Mesurons le cynisme de cette déclaration à l’aune des faits suivants: M. SONKO a été kidnappé puis placé en résidence surveillée en dehors de tout cadre légal le 28 mai 2023, soit l’avant-veille son verdict, alors qu’il était sur le chemin de DAKAR pour s’y rendre. Il a ensuite été empêché de quitter son domicile pendant 53 jours par des barrages de policiers qui, sans mandat, lui interdisaient tout mouvement. A peine les barrières étaient-elles levées qu’il s’est fait arrêter pour cette supposée affaire de vol de téléphone portable. Quand M. SONKO aurait-il pu se constituer prisonnier, si ce n’est à l’instant où il a été arrêté ?
Mais ajoutons-y une faille logique: selon le ministre, la condamantion de M. SONKO est devenue définitive « entre temps », c’est à dire avant son arrestation pour un supposé vol de téléphone portable. Or si c’était le cas, pourquoi aucune force de l’ordre n’avait cherché à la rendre exécutoire ? Parce que le pouvoir savait qu’à cet instant, M. SONKO aurait dû être une nouvelle fois jugé. Et son éligibilité, entre temps, aurait été préservée.
Notons un dernier point. Dans ce même entretien où, tout en prétendant qu’il n’y a pas de prisonniers politiques au Sénégal, le ministre ne fait que parler d’un opposant politique détenu pour des soi-disant crimes et délits politiques, celui-ci confirme qu’aucun membre des forces de l’ordre n’a été inculpé à ce stade au sujet des près de 60 meurtres commis depuis mars 2021 par tirs de balle réelle contre des manifestants.
On comprend en le lisant que seules des enquêtes administratives ont été lancées (sic), et qu’elles n’ont rien donné. Cet aveu est autrement plus important que ses arguties, car l’absence de procédures internes ouvre la porte à la compétence de la Cour pénale internationale, pour ces crimes imprescriptibles et contre ceux qui les ont commis.